fbpx

IL Y A 40 ANS A NEW-YORK…

Jocelyne Triadou devient la première championne du monde de l’histoire du judo français

lors des premiers championnats du monde féminins en 1980 à New-York. Marie-Paule Panza (-56kg) et Paulette Fouillet (+72kg et open) remportent les titres de vice-championnes du monde. Marie-France Colignon (-48kg), Pascale Doger (-52kg), Martine Rottier (-61kg) et Catherine Pierre (-66kg) décrochent la médaille de bronze.

Ces femmes exceptionnelles ont ouvert la voie aux équipes de France suivantes. Depuis 1980, 82 médailles dont 29 titres ont été remportées par les françaises en championnats du monde.

Jocelyne TRIADOU, la rage de vaincre

Article écrit par Nicolas Messner, traduit par la FFJDA

Avec de nombreuses médailles en compétitions internationales majeures, dont 5 titres européens, Jocelyne Triadou est avant tout connue pour être la première française à devenir championne du monde. En remportant le titre mondial en 1980 à New-York, lors des premiers championnats du monde féminins, elle a ouvert la voie à de nombreux athlètes français, qui ont suivi son sillage et positionné la France parmi les meilleures nations de la planète.

Ça paraît facile de dire, 40 ans après, que Jocelyne est devenue une légende du judo dans le monde. Pourtant, les obstacles étaient nombreux, et il lui aura fallu beaucoup de détermination et de sacrifices pour y parvenir.

Tout a commencé avec une enfant hyperactive qui, vers 10 ans, avait besoin de se défouler, « J’ai fait beaucoup de sports d’équipe, de la gymnastique aussi, mais mon père avait fait du judo étant plus jeune, donc j’ai fini sur un tatami. Mon père m’a emmenée voir un cours de judo en juin 1965. J’étais scotchée. Quelques mois plus tard, en septembre de la même année, j’ai commencé le judo, mais j’étais une enfant dans des cours adultes. Je suis sûre que c’est ce qui a commencé à construire ma personnalité de battante. »

En interviewant des judokas du monde entier, nous avons découvert qu’il y avait beaucoup de points communs entre eux. Par exemple une connexion au judo par l’un des parents, le père ou la mère, parfois les deux. Pour certains, les premiers contacts avec le judo étaient dans l’espoir de canaliser leur énergie débordante d’enfant. Jocelyne ne fait pas exception à la règle. De là à devenir championne du monde, la marche est grande, mais elle a réussi, non sans difficulté, « Très vite, je me suis mise à pratiquer le judo 3 fois par semaine. J’étais plus calme à l’école et cela ne m’a pas pris longtemps avant de devenir vraiment passionnée par le judo. A 17 ans j’ai commencé à travailler dans une banque, mais dès que j’avais du temps libre je le consacrais au sport. En France, le judo féminin n’était pas encore très développé. C’est un euphémisme. Il n’y avait pas ou peu de compétitions, alors que je voyais que dans les autres pays, les choses commençaient à bouger. »

Finale des Championnats du monde féminins, © International Judo Federation

Finale des Championnats du monde féminins, © International Judo Federation

Le samedi après-midi, Jocelyne était sur les tapis. Elle participait à des entraînements techniques pour femmes. Une de ses amies lui a parlé de son fiancé, un certain Jean-Luc, « Ce n’est qu’en 1975, quand il est devenu le premier français champion du monde que j’ai découvert que ce Jean-Luc n’était autre que Jean-Luc Rougé. Je ne pouvais pas imaginer à ce moment que je deviendrais la première française à le rejoindre en haut du podium. Très vite, comme il y avait peu de compétitions en France, on est parties affronter les judoka des pays voisins. On a fait de la voiture. Beaucoup d’entre nous voulaient partir en Belgique, Espagne ou Italie. C’est dans ces années, alors que je passais mon diplôme de professeur de judo, que j’ai rencontré Paulette Fouillet. Nous sommes restées complices jusqu’à son décès en 2015. On a été la colonne vertébrale de la future équipe de France féminine. »

A partir du milieu des années 1970, les choses ont commencé à bouger. La première Coupe de France a été organisée en 1975, l’année où Jean-Luc Rougé a été couronné. Dans les années qui ont suivi, le premier championnat de France s’est déroulé à Agen, « Avec ce premier championnat de France, les choses se sont rapidement arrangées. J’étais un peu au-dessus du lot, donc j’ai rapidement intégré l’équipe de France. Les 8 années que j’ai passées avec cette équipe ont été merveilleuses. J’ai d’immenses souvenirs. Il n’y avait pas vraiment de coaching. On était un peu seules. Ça a été une aventure et c’était incroyablement excitant. »

Il est important de replacer le contexte, parce que, si ces années ont été formatrices et ont marqué Jocelyne Triadou pour le reste de sa vie, elles étaient à l’image de la lutte pour l’égalité des droits femme-homme, « Quelque part on se battait contre le système. Pas seulement contre celui de la Fédération Française de l’époque, mais contre toute la société. Les coaches qui devaient suivre l’équipe de France féminine considéraient ça presque comme une punition. Les filles aujourd’hui ne s’en rendent pas compte, mais nos meilleures armes, c’était nos résultats. Avec la médaille que j’ai ramenée des championnats d’Europe et des championnats du monde en 1980, la Fédération n’a eu d’autre choix que de nous accepter. Quand on a eu nos premiers résultats internationaux, les gens disaient que c’était de la chance. Mais les femmes de l’équipe de France sont chanceuses depuis 40 ans maintenant donc… »

Jocelyne Triadou est 8ème dan, © International Judo Federation

Ce climat de méfiance vis-à-vis du judo féminin a été une excuse pour se battre encore plus et mieux, « On a eu de la chance d’avoir une alliée forte dans la Fédération : Josiane Litaudon, qui est devenue plus tard Secrétaire Générale. Elle nous a toujours soutenues. Elle savait comment utiliser sa position politique mieux qu’on ne l’a jamais fait, parce qu’on était des combattantes. Ensemble, on a essayé de faire avancer la cause des femmes. Avec nos résultats et le travail de Josiane, on a réussi à aller de l’avant. Sur les tatamis, on ne le réalisait pas encore, mais avec le recul, je pense que ces années ont été cruciales pour le futur du judo en France et dans le monde. »

A la fin des années 1970, juste avant les premiers championnats du monde, les structures d’entraînement étaient toujours limitées, « Oui, on avait une équipe de France, et on était particulièrement unies au sein de cette équipe, mais il n’y avait pas encore de structure d’entraînement comme aujourd’hui. On s’entraînait dans nos clubs respectifs. Il n’y avait pas d’organisation permanente, tout était éphémère. C’est seulement après New-York que ça a commencé à s’améliorer. »

Ce n’est jamais facile de parler des détails d’un événement qui s’est passé il y a 40 ans, le temps efface les souvenirs, mais pas ceux de Jocelyne, « Je me souviens de l’immense joie, mais aussi de l’étonnement, d’avoir gagné. La victoire s’est jouée à la décision. C’était compliqué. Ça m’a pris longtemps pour enfin réaliser. J’avais été opérée du genou, alors j’avais commencé ma préparation un peu tard. Quand je suis arrivée à New-York, j’étais encore en guérison et j’ai dû « strapper » mes deux genoux pour que mes adversaires ne sachent pas lequel était blessé. C’était inimaginable pour moi de manquer ces premiers championnats. On tournait en rond en Europe, avec uniquement des championnats de France et d’Europe. J’étais très motivée, mais si on regarde de plus près aujourd’hui, on se rend compte que tout s’est passé très vite entre les débuts du judo féminin et ce premier événement mondial aux Etats-Unis. C’est grâce à Rusty Kanokogi. Je suis heureuse d’avoir fait partie de cette aventure à ma manière. »

Interview avec la chaîne CBS TV, © International Judo Federation

Avant la compétition en elle-même, il y a eu l’arrivée à New-York, « C’était génial d’arriver à la ‘Grosse Pomme’. On était logées dans un hôtel juste en face du Madison Square Garden et la première chose qu’on a faite a été d’aller marcher dans les rues. Je me rappelle qu’il y avait tout le temps du vent. Je me souviens aussi qu’à cause de ma blessure, j’avais perdu quelques kilos, donc ce n’était pas difficile pour moi d’être au poids. On avait droit à 10$ par jour pour manger, mais je pouvais manger plus ! La Fédération ne voulait pas me rembourser les 5$ supplémentaires que je voulais utiliser. Un journaliste avait écrit en titre d’un article ‘Triadou, pour 5 dollars de plus’. A l’époque, j’étais pressée et je ne comprenais pas pourquoi je ne pouvais pas avoir plus. A un championnat d’Europe précédent, on nous a donné les survêtements de l’équipe juniors, et après la compétition on nous a demandé de les rendre. On a refusé. Quand je suis arrivée à New-York, j’ai voulu prendre ma revanche. »

Les résultats obtenus par l’équipe de France ont marqué un tournant pour la France et pour le monde, « Après les championnats, on est restées 10 jours (chut) pour faire la fête. On l’avait bien mérité. On a changé d’hôtel et on squattait un peu dans les chambres. On a vraiment apprécié ces moments. Pendant la journée, je visitais des musées, et le soir, c’était la fête. C’était au moment où John Lennon avait été assassiné, l’atmosphère était étrange dans la ville. Quand je suis rentrée en France, le championnat était déjà loin derrière nous. J’ai été très bien reçue à l’aéroport, et grâce à mon titre, mon poste d’agent municipal a été officialisé. J’enseignais en même temps le judo à l’école. J’ai aussi eu un chèque de la Fédération, ce qui m’a permis de m’acheter une valise. Pour moi, c’était incroyable que, grâce au judo, je pouvais gagner de l’argent. Ce qui a été important également, c’est que le Ministère des Sports ne faisait pas de distinction entre les hommes et les femmes, ils comptaient toutes les médailles. Après New-York, et surtout après Paris deux ans plus tard, le judo féminin en France est devenu un vrai phénomène. C’est toujours le cas aujourd’hui, même si certains continuent de calomnier.

Franchement, je ne me suis jamais préoccupée de ce que les gens disaient. Ce n’était pas mon problème. Je ne les écoutais pas. Tout ça, pour moi, ce n’était pas du judo. Hommes ou femmes, on fait le même sport et on s’exprime avec les moyens dont on dispose. »

Jocelyne Triadou en haut du podium, © International Judo Federation

Jocelyne n’a pas perdu son mental de battante, elle a seulement ajouté une capacité à prendre du recul et à analyser qui force le respect, « Le judo féminin aujourd’hui est intéressant, mais il est différent du nôtre. Les filles sont devenues des pros qui bénéficient du pouvoir d’une grosse machine. Je leur souhaite une longue et riche carrière, comme la nôtre. Parfois, je me demande si je pourrais me mesurer aux filles d’aujourd’hui. Je ne sais pas. On se battait pour nous mêmes, évidemment, mais on se battait aussi contre le système. Notre force c’était notre cohésion. On voulait les mêmes droits que les hommes. C’est aussi simple que ça. Ca n’allait jamais assez vite, ça paraissait toujours être un boulot. Aujourd’hui c’est beaucoup mieux, il n’y a plus de distinction. Je suis très heureuse d’avoir fait ma part dans la bataille sociale, mais j’ai l’impression que cet état d’esprit n’existe plus. Le sport est devenu plus individuel. Vous savez, on faisait même des pétitions pour dénoncer des choses, et ça faisait partie de notre force.

Quand je regarde en arrière, je me dis qu’on a été à l’origine de quelque chose de grand et ce qu’on a fait n’a pas été inutile. Quelques fois, je me dis qu’il faudrait que j’écrive tout ça, mais je ne suis pas écrivaine. Mon amie Paulette nous a quittés. Le temps passe. »

Pour illustrer l’esprit incroyable qui régnait à cette époque, Jocelyne m’a glissé une dernière anecdote, « Quand je suis montée sur le podium, je me souviens que Mr Matsumae, le président de l’IJF, m’a donné ma médaille. On attendait les hymnes, mais pas la Marseillaise. C’était panique à bord ! Nous sommes descendues du podium, et quelques minutes plus tard, nous sommes remontées. Pendant ce temps-là, ils ont trouvé l’hymne français, donc j’ai eu deux cérémonies en une. Je me souviens de la tristesse de Barbara Klassen, mon adversaire en finale, parce que c’était la deuxième fois qu’elle montait sur la deuxième marche du podium. C’était un moment d’immense joie et à la fois de chagrin. On s’est battues, mais on était une famille. Je pense souvent à elle, d’autant plus qu’elle est décédée quelques années plus tard. »

Si les années sont passées, Jocelyne Triadou a toujours le même caractère affirmé qui lui a permis de devenir championne du monde. Elle dit ce qu’elle pense, et elle l’incarne. C’est grâce à des femmes de son calibre que le judo peut être fier d’être aujourd’hui un sport dans lequel l’équité est une valeur fondamentale.